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GARDER LE CAP, TENIR LE VENT.

ENTRETIEN AVEC MIREILLE CHEVALIER, CHAMBRE D'AGRICULTURE DE L'AISNE

Quand les circuits courts se confi(n)ent #5 (par Julie Rouan)

12 mai 2020

Mireille Chevalier est Responsable du service Entreprise à la Chambre d’Agriculture de l’Aisne. Elle accompagne particulièrement les circuits courts collectifs autour des trois grands projets que sont le Drive fermier de Laon, la plateforme Produits de nos pl’Aisne pour la restauration collective et une légumerie.

COMMENT AVEZ-VOUS VÉCU L’ANNONCE DU CONFINEMENT ?

L'ARRÊT DE LA RESTAURATION COLLECTIVE : UN CHOC ABSORBÉ PAR LA DIVERSIFICATION

Pour Mireille et ses collègues, c’est, avant le confinement, l’annonce de la fermeture des collèges et lycées qui a eu un impact fort et immédiat sur leur activité, à travers la plateforme de commande en ligne que la Chambre a contribué à mettre en place pour la restauration collective.
La Chambre fait en effet l’interface avec les établissements et aide les producteurs pour l’organisation logistique, c’est donc elle que tous les établissements ont appelé le vendredi pour annuler toutes les commandes en cours prévus pour le mardi suivant.
“Pour l’association de producteurs, passer d’une activité en plein essor à zéro commande, c'est difficile.”
Ce qui est intéressant ici c’est de voir qu’une fois de plus les modèles de circuits courts ont déjà dans leurs gènes des éléments pour supporter la tempête : l'instabilité était déjà prévue. Pour la Chambre de l’Aisne, ça se traduit non pas par des procédures d’urgence spécifiques et désordonnées, mais par la continuité du service : Mireille et son service ont appelé tous les producteurs pour annuler, expliquer qu’il s’agissait d’un cas de force majeure.

 

Pour les producteurs en circuit court, un des secrets de la souplesse, ça n’est pas une heure quotidienne d’étirements, mais la diversification des débouchés, qui permet de réagir vite et sans trop de douleurs : la plupart d’entre eux ont reporté leur surplus sur leurs autres circuits, notamment sur les ventes directes. Il n’y a pas eu de perte notable chez les maraîchers et producteurs de yaourts.

QU’EST CE QUI A CHANGÉ DEPUIS ?

LE DRIVE FERMIER S'EMBALLE

Parallèlement les demandes se sont emballées sur le Drive fermier de Laon dans lequel on retrouve une bonne partie des producteurs vendant sur la plateforme.
Dès le lundi soir de l’annonce la moyenne de 47 commandes avait doublé. Elles sont montées jusqu'à 209, et il y avait encore 170 commandes la semaine du 27 avril. Le panier moyen des commandes a augmenté également.

Pour Mireille cela confirme qu’il faut absolument plusieurs circuits : même s’il est vrai que personne n’avait anticipé que tout un segment de distribution pouvait fermer d’un coup. Pour quelques producteurs spécialisés, comme par exemple un éleveur du département qui vend surtout des pigeons aux restaurants gastronomiques, c’est très compliqué en ce moment.

Pour certains produits de consommation courante au contraire, les stocks disparaissent plus vite que jamais : la baisse des importations internationales pousse la grande et moyenne distribution à reporter ses achats auprès des producteurs locaux. Le producteur de pommes qui habituellement garde des stocks jusqu'à fin juin se retrouve déjà en rupture début mai. La GMS lui achète deux à trois fois plus de pommes que d'habitude.
De manière générale, en vente directe, on ne trouve pas de cas de producteur en grande difficulté.
La Chambre mène également une enquête sur les fermes qui font de l’accueil, car ce sont celles qui pourraient le plus pâtir du confinement, mais à part une ferme équestre, rares sont celles pour qui cela représente la part principale de l’activité.

QU'AVEZ VOUS MIS EN PLACE ?

LA VIE CONTINUE

“La vie continue, nous n'avons pas mis en place d’actions particulières, nous avons répondu aux demandes qui sont arrivées très vite”. Le travail d'accompagnement des circuit courts par la Chambre semble s’inscrire là encore dans la continuité, le long terme. Le Drive fermier connaît un essor : Mireille et son équipe renforce son accompagnement, en se rendant sur le terrain, le jour des distributions, pour préparer les commandes qui sont trois fois plus nombreuses sur le même temps.
D’habitude, le Drive étant encore en phase de démarrage, elle s’occupe de la validation des commandes, de la communication, de la gestion administrative et comptabilité. En ce moment elle est présente physiquement, pour récupérer des caisses supplémentaires en urgence, imprimer des documents, répondre aux appels et messages plus nombreux.
L’objectif c’est l’autonomie du Drive, et si ce rythme se maintient, ils pourront bientôt investir pour rémunérer une personne pour les aider.

RENFORCER LE RÉSEAU

Le service a comme beaucoup d’autres, mis en place une carte interactive qui présente les lieux ou acheter “en direct”, à partir d’une liste existante, mais la souhaitant fiable et précise, Mireille et ses collègues ont appelé tous les producteurs pour vérifier qu’ils continuaient à vendre pendant cette période, où et comment.
Au delà de l’utilité immédiate, cela a permis de mettre à jour
la carte habituelle mais surtout de resserrer le lien avec les producteurs en vente directe, d’en découvrir de nouveaux, de les référencer, pour demain mieux les accompagner.

QUELLE VISION À LONG TERME ?

Pour Mireille la question est là même que pour tous les acteurs des circuits courts que nous avons questionnés : que va-t-il rester de cet engouement ? quel pourcentage de nouveaux venus ? Le volume de vente se maintiendra-t-il? Le Drive fermier dispose de plus de 300 nouveaux clients qui n'avaient jamais commandé, sur 1300 clients depuis le départ. Les producteurs sont persuadés qu’une partie des nouveaux venus resteront. On se souvient dans la région de l'ascension qu’avait connu le Maroilles après la diffusion du film Bienvenue chez les Ch'tis : des ventes multipliées, retombées certes au bout d’un moment, mais qui se sont maintenues ensuite à un niveau bien plus élevé qu'avant le film.

LA CRISE CATALYSE LES PROJETS, LA CHAMBRE ESPÈRE ET TEMPÈRE

Le service est, plus que d’habitude, contacté par des agriculteurs qui veulent se mettre à la vente directe, ou en faire plus, qui veulent mettre en oeuvre des projets préexistants boostés par cette vague. Mais pour le moment "on ne précipite pas, on reste vigilant, car il faut savoir à quel point cela va perdurer."
La plupart des producteurs ont le nez dans le guidon, et Mireille attend plus de projets à la fin de l’été, quand les maraîchers auront passé la plus grande période d’activité et pourront prendre du recul.

Le service de Mireille Chevalier est conforté dans la poursuite de ses grands projets : développement de la plateforme Produits de nos pl’Aisne, duplication du Drive fermier dans deux autres localités du département. Là aussi l’idée d’élargir préexistait et se trouve confirmée par l’engouement pour la vente directe.
La légumerie constitue le gros défi pour 2020 mais reste pour le moment délicat à mener tant que la restauration collective est fermée. Elle aimerait la mettre en place à la rentrée, en espérant que l’attrait pour le local se fasse aussi dans les cantines... à bon entendeur !