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VOGUE LA CUEILLETTE ! ADVIENNE QUE POURRA ! ENTRETIEN AVEC MATHILDE LAFAYE DU JARDIN DE MARIGNY

Quand les circuits courts se confi(n)ent - Suite #6 (par Mathilde Baillehache)

28 mai 2020

Le Jardin de Marigny est une exploitation maraîchère de 13 hectares, installée à Sauvigny-les-Bois, à 12 km de Nevers. Créé il y a 34 ans avec une offre « fraises et asperges », le jardin propose aujourd’hui une activité de libre cueillette de fruits et légumes, de fin avril à novembre. Pour diversifier leur offre, ils ont aussi aménagé une boutique de produits fermiers locaux. Mathilde Lafaye, arrivée sur l’exploitation familiale en 2009, nous raconte comment « ils naviguent à vue » depuis l’ouverture il y a cinq semaines, et comment ils envisagent le futur.

QUELS ONT ÉTÉ LES EFFETS DU CONFINEMENT SUR VOTRE ACTIVITÉ ?

« Pendant le confinement, on a navigué à vue. Mais tout le monde a joué le jeu et s’est serré les coudes : salariés, préfecture et clients. »
L’ouverture de la cueillette a eu lieu le 21 avril, en plein confinement. Comme tous les acteurs des circuits courts, Mathilde et ses équipes ont dû relever plusieurs défis pour maintenir l’activité et répondre à l’engouement des consommateurs pour les produits locaux.

#1ER CHALLENGE : L'ÉQUIPE

« L’ouverture du jardin étant prévue au moment où toute la France était confinée, je ne savais pas si mes salariés allaient accepter de venir travailler. Finalement, ils ont tous répondu présents. ».
Le jardin emploie depuis 20 ans deux salariés permanents et une équipe de saisonniers, présents de quelques jours à 8 mois selon leur poste. Ils ont surmonté tous ensemble les aléas liés au contexte de la crise sanitaire. Une personne dédiée à la culture a par exemple dû venir renforcer l’équipe de vente à la boutique. « Heureusement que mes équipes sont fidèles et motivées, sans eux tout ça n’aurait pas été possible ».

#2ÈME CHALLENGE : LES AUTORISATIONS

Une fois les légumes plantés et l’équipe en place, il ne manquait plus que les autorisations pour ouvrir la cueillette. Mais ce n’était pas gagné d’avance, car cette activité se situe à la frontière entre les « parcs et jardins » (qui étaient alors tous fermés) et la distribution alimentaire. « Nous avons très vite imaginé un protocole de sécurité drastique (pas plus de 30 personnes en même temps dans le jardin, une seule personne par famille...) et avons lancé toutes les démarches auprès de la Préfecture. »

Résultat : le Jardin de Marigny est l’un des premiers jardins de cueillette à ouvrir en France le 21 avril, alors que d’autres continuent de subir des restrictions locales, suite aux différentes annonces du Ministère. Mathilde est évidemment très reconnaissante du soutien de madame la Préfète apporté aux circuits courts de son territoire.

#3ÈME CHALLENGE : LES CLIENTS

Pour accueillir en sécurité et en priorité ses clients fidèles, Mathilde a privilégié une communication « minimaliste » : une seule publication sur sa page Facebook le 20 avril, une newsletter à ses abonnés. Et aucune mise en avant de l’abondance de fraises !

« Mes confrères, dont la boutique reste ouverte toute l’année, observaient depuis le début du confinement une forte augmentation de leur fréquentation. Par exemple, mon fournisseur de pommes de terre n'a déjà plus toute sa gamme de disponible. On s’attendait donc à avoir du monde. Et ça a été le cas.»
Au final, sur les 3 semaines d’ouverture, tous les indicateurs sont au vert : plus de clients, un panier moyen plus élevé et une forte augmentation de la vente des produits de la boutique.

« D’ordinaire, nous mettons un point d’honneur à limiter le temps d’attente au moment du paiement. Mais les conditions sanitaires, couplées aux difficultés rencontrées avec notre terminal de paiement, ont généré des temps d’attente très longs, du jamais vus à Marigny ! Malgré ça, les clients étaient heureux, respectueux et reconnaissants de notre travail. »

COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CET ENGOUEMENT POUR LES PRODUITS LOCAUX ?

Selon Mathilde, le confinement a eu 3 impacts majeurs sur le comportement de ses clients, au bénéfice des circuits courts :

  • Ils ont eu plus de temps libre pour cuisiner (et venir cueillir en ce qui la concerne)
  • Ils ont eu peur de fréquenter les grandes surfaces
  • Ils ont eu besoin de trouver des occasions de prendre l’air (l’activité de cueillette étant l’opportunité de faire ses achats alimentaires en même temps)

Résultats : les consommateurs ont davantage été en recherche de produits locaux et de circuits de distribution alternatifs. Pour citer un exemple local : le groupe Facebook « Je mange dans la Nièvre ! », créé le 12 avril, compte déjà plus de 5.000 membres. « Je n’ai pas communiqué sur ce groupe pendant le confinement, mais mes clients y postaient des témoignages de leur visite au jardin et nous recommandaient. Je sais que du monde est venu par ce biais ». La recherche accrue de produits locaux par les consommateurs peut aussi être illustrée par les performances de la page Facebook du jardin : alors que la publication de l’annonce de l’ouverture de la cueillette en 2019 touchait un peu moins de 5.000 personnes, elle a atteint plus de 20.000 personnes cette année.

« A ce stade, j’ajouterais aussi deux critères indépendants de la crise pour expliquer les très bons résultats du jardin : les fraises et la météo. Les fraises constituent un véritable produits d’appel pour un jardin de cueillette. Et cette année, les conditions étaient parfaites : une production abondante et précoce. La météo nous a aidé, mais nous avions aussi travaillé dans ce sens cette année, en multipliant les variétés, les dates de plantation pour étaler la production… »

DEPUIS LE DÉCONFINEMENT, QU’EST-CE QUI A CHANGÉ ?

Depuis le 11 mai, l’affluence se confirme. « On a déjà connu des niveaux de fréquentation comme celui-là, mais cela faisait longtemps. En tant normal, on accueille entre 500 et 700 personnes par semaine sur cette période, là où on a eu plus de 800 personnes la semaine dernière. Et bien sûr les gens reviennent en famille. »

Pour son activité, la différence notable concerne la communication. Sur une année plus « classique », une telle fréquentation aurait due être soutenue par des actions de communication. Hormis une 2ème newsletter envoyée le 11 mai à ses contacts, Mathilde ne communique toujours pas sur Facebook. Et les messages autour des précautions sanitaires restent de mise sur son site internet.

« Par contre, une légère baisse des ventes des produits de la boutique se fait sentir depuis deux semaines, mais il est difficile de tirer des conclusions à ce stade. J’observe par exemple un retour à la normale sur les commandes de colis de viande. »
 

Finalement Mathilde continue de naviguer à vue. Pour elle, prochaine étape le 2 juin. Elle n'exclut pas un renfort de l’équipe en boutique si la fréquentation se maintient.

COMMENT VOYEZ-VOUS LA SUITE ?

Imaginer que l’engouement et l’affluence se maintiennent, c’est moins évident pour elle. « Autour de moi, personne n’a de certitude. Moi non plus ! »

« En ce qui me concerne, je pense que j’ai du potentiel à développer l'activité du jardin si je plante plus. Mais attention, produire plus n’est pas la réponse à tout. Sans oublier un point important : mes clients fidèles trouvent peut-être qu’il y a trop de monde depuis deux semaines...? »

L’enjeu reste avant tout de proposer des produits et un service de qualité aux personnes qui ont pris le temps de venir découvrir la cueillette pendant cette période un peu exceptionnelle. Si c’est le cas, elle est persuadée qu’ils reviendront.

A ce stade, Mathilde ne pense pas changer le fil directeur de son entreprise. Elle avait déjà des projets avant la crise et ils restent d’actualité : d’une part doubler la surface de sa boutique en 2021 pour améliorer l’accueil en boutique et offrir une gamme de produits locaux plus large ; d’autre part continuer à valoriser ses légumes invendus en les transformant avec ses partenaires Delphine et Pascal (La cerise sur le cochon).