Nous avions envie de réagir à une récente annonce du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Début janvier, la plateforme https://www.fraisetlocal.fr/ est mise en ligne. L‘objectif affiché par cette nouvelle plateforme est “d’offrir un point d'entrée unique aux consommateurs facilitant la recherche de produits fermiers de proximité et une visibilité renforcée aux agricultrices et agriculteurs adhérents des plateformes partenaires.”
Cette plateforme compte aujourd’hui plus de 8 000 exploitations et points de vente directe, contacts fournis par leurs trois premiers partenaires (Bienvenue à la Ferme, le réseau de l'enseignement agricole et l’association française d’agriculture urbaine professionnelle AFAUP). Le réseau de leurs partenaires s’étoffe puisque leur base de données vient d’être récemment incrémentée par les points relais du réseau Locavor.
LES ENJEUX CÔTÉS CONSOMMATEURS ET AGRICULTEURS
Offrir un point d'entrée unique aux consommateurs, un vœux pieux ?
Les plateformes faisant la promotion des circuits courts sont de plus en plus nombreuses ; et le confinement du printemps dernier a encore renforcé cette tendance, avec la mise en ligne, par exemple, de nouvelles cartes interactives portées par les collectivités locales.
Dans ce contexte, l’objectif de cette nouvelle plateforme semble louable, mais pour y répondre, il faudrait que l’intégralité de l’offre en circuits courts y soit présente. Est-ce réalisable ? Est ce que tous les acteurs sont prêts à partager leurs données pour améliorer la visibilité de l’offre ?
Et pour prendre le contre pied de la centralisation des données, il ne faut pas oublier que les consommateurs recherchent aussi des plateformes qui leur ressemblent, avec des avis et des recommandations de consommateurs qui leur ressemblent. De ce point de vue, lutter contre la multiplication des plateformes constituerait une erreur marketing !
Côté agriculteurs, l'enjeu n'est plus la visibilité mais l'interopérabilité
Référencer les agriculteurs sur une nouvelle plateforme leur garantit une visibilité supplémentaire (nouveau point d'entrée, meilleur référencement de leur site internet en créant un lien entrant supplémentaire...). Sur ce point nous sommes d'accord.
En revanche, la multiplication des plateformes présente un inconvénient majeur : toutes les mises à jour de leurs informations (quantité de produit en stock, nouveau produit, changement de prix ou d’horaires...) doivent être faites séparément sur l’ensemble des sites. Cela devient vite fastidieux !
Dans le secteur du retail, des solutions comme Partoo répondent à cette problématique, en proposant une interface centralisant l’information des annuaires et sites d’avis (les changements faits sur cette plateforme alimentant l’ensemble du réseau). Pourquoi ne pas envisager le même type de projet pour faciliter la vie des agriculteurs en circuits courts ? Dans le monde agricole, la réflexion a été initiée il y a quelques années par cinq acteurs, via le Data Food Consortium. L’objectif est de permettre l'interopérabilité entre les plateformes internet, c'est-à-dire permettre aux producteurs de transmettre ou récupérer les informations simultanément à différentes plateformes, en agissant une seule fois sur une même interface. Le sujet avance et le groupe de réflexion a déjà défini un socle commun afin de permettre la communication entre différentes plateformes. Selon nous, c'est un enjeu important.
LA VISIBILITÉ DE L'OFFRE EN CIRCUITS COURTS, UN SUJET MAIS PAS LE SEUL !
Les circuits alimentaires de proximité font face à de nombreux enjeux : accessibilité et inclusion, optimisation et mutualisation de la logistique, sensibilisation et formation des consommateurs, augmentation et diversification de l'offre sur certains territoires… pour n’en citer que quelques uns.
De notre point de vue, la visibilité de l’offre locale n’est aujourd’hui plus le sujet prioritaire. Côté consommateurs, trouver des produits locaux via internet est finalement beaucoup plus facile aujourd’hui qu’il n'y a 10 ans. L’enjeu n’est plus là.
Nous avons interrogé Hervé Pillaud sur la sortie de cette nouvelle plateforme (éleveur vendéen, premier agriculteur nommé au Conseil national du numérique, auteur de « Agroeconomicus manifeste d’agriculture collabor’active » et “(Re)concilier agriculture et société” à sortir prochainement). Il nous rejoint sur ce point. Selon lui, "les enjeux prioritaires des circuits courts sont aujourd'hui la logistique et la transformation des produits bruts".
UNE OPPORTUNITÉ DE PARLER DATA & COMMUN ?
Pour conclure, parlons “data”. Si l'on considère l'objectif porté par cette nouvelle plateforme, spontanément nous préférons que la centralisation des données agricoles soit préemptée par l'État français (en partenariat avec les acteurs français de nos territoires) plutôt qu’un éventuel “GAFA des circuits courts”.
Hervé Pillaud nous explique que notre “exemple repose la question d’une nécessaire souveraineté des données en commun, de surcroît si l’on considère que la liste des points de vente en circuits courts entrent dans le spectre des données environnementales d’intérêt général.” Selon lui, il faut mettre en commun, légiférer, travailler sur la protection des données, plutôt que sur leur propriété. Il conclut en nous faisant remarquer que “finalement ce cas pratique serait une bonne opportunité de tester cette voie du commun, car les enjeux restent limités.”. À bons entendeurs !
Pour aller plus loin
--> Le concept de biens communs soutenu par l’économiste Gaël Giraud
--> Actualité politique sur les données environnementales d’intérêt général